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"Sic et non" sive "Sic aut non" (2002)
La méthode des questions chez Abélard et la stratégie
de la recherche
Lutz Geldsetzer
La méthode des questions est bien connue et documentée dans
l'histoire de la philosophie scolastique. Elle régnait dans l'enseignement
des écoles monastiques et des universités médiévales.
Elle était - en parallèle avec la "lectio", la lecture du texte
et de son exégèse - la méthode de la discussion de
problèmes qui rendaient difficile l'entendement des textes. On les
publiait sous forme de "quaestiones disputatae" et "quaestiones de quolibet",
et cette forme entra dans les dispositions des matières des grandes
sommes, comme p. e. la "Summa theologica" de Thomas d'Aquino. Les règles
que l'on a établi en vue de ce but sont les suivantes:
1. Constitution de la question ou du problème (an sit ....?).
Le problème par sa nature même s'articule logiquement en
alternative: Y-a-t-il quelque chose ou non? Peut on affirmer une proposition
ou non? Quelqu' un a dit telle proposition. Est-elle vraie ou non ?
2. Recueillement des contre-arguments (videtur quod non ...). Commencer
avec les contre-arguments se recommande sous le principe de l'économie
inscrit dans toute recherche. Si l' on peut trouver d'importants arguments
négatifs on épargne souvent beaucoup de travail. Le problème
pourrait disparaître si les contre- arguments se montrent
convainquants.
3. Recueillement des arguments positifs (Sed contra dicendum ...).
Cela implique le travail normal de trouver avec une certaine complétude
les arguments soutenants la thèse qui dirige l'articulation du
problème. On présuppose naturellement une certaine érudition
dans la discipline, qui semble devenue rare aujourd'hui. Le manque de cette
érudition au profit de la spécialisation me semble être
la cause majeure pour le fait que la méthode des questions est
tombée en désuétude en temps modernes. Le chercheur
moderne préfère de proposer des thèses et de les arguer,
et il laisse le travail de les critiquer et peut-être de les renverser
par des contre-arguments à ses collègues. L'obligation
médiévale à soulever en personne des contre-arguments
mettant en doute la propre conviction bloque normalement l'élan de
la production de textes et de thèses qui sont si importantes dans
les carrières des chercheurs. On peut aussitôt dire que si la
méthode des questions était actuellement en vigueur et obligatoire,
la production littéraire serait certainement diminuée
considérablement.
4. La réponse ou la solution du problème ou de la question
(Conclusio). Elle ne peut être qu' une déduction logique
a partir des prémisses ramassées positives ou
négatives.
5. La révision et l'évaluation des arguments positives et
négatives (ad unum, ad secundum etc.) qui était encore
recommandée par Descartes dans ses Règles de la méthode
peut s'ajouter ou non, lorsqu'elle n'a pas déjà été
faite dans les analyses antérieures.
En présentant la méthode des questions de telle
manière, je l'ai formulé sous la forme de l'alternative logique.
Et si je me ne trompe pas, aussi les juristes et les scolastiques dans leur
majorité l'ont comprise de telle manière. La question
s'élève alors, pourquoi depuis Abélard elle fut
appelée "Sic et non" et non "Sic aut non". Car on peut bien supposer
que la distinction entre l'alternative et la contra- diction logique était
suffisamment connue chez les "dialecticiens" scolastiques. D'ailleurs
l'appellation "méthode des questions" est sans doute elle-même
l'expression de cet entendement de la méthode comme constitution logique
d'alternatives, puisque chaque problème est normalement compris sous
forme de l'alternative logique.
Evidemment cela ne vaut pas pour les contradictions qui sont logiquement
formalisées sous la forme du "Sic et non" d'Abélard. Les
propositions contradictoires sont comprises depuis l'antiquité comme
expression logique du faux ou même de "l'absurde". Je m'en doute qu'
Aristote lui-même ait été l'auteur de cet entendement,
parce qu'il n'affirme nulle part dans ses écrits qu'une contradiction
serait simplement fausse ou dénué de sens. Ce qu'il constate
explicitement c'est qu'il y a des contradictions conceptuelles "in adiecto"
ou "in terminis" qui n'ont rien à voir avec la fausseté et
la vérité. D'autre part, en parlant des propositions, il constate
que la contradiction consistant en une proposition positive et une autre
conjuguée avec celle-là qui dénie la proposition positive
ne peuvent pas être vraies toutes les deux ni fausses toutes les deux
en même temps, et cela dans le cas normal d'un jugement sur les choses
existantes. Ce qui insinue le fait, que l'un des jugements conjugués
en contradiction doit être vrai et l'autre faux. Mais Aristote ne dit
pas cela expressément. Puisque les jugements contradictoires ne sont
pas tous les deux en même temps vrais ni tous les deux en même
temps faux il conseille de les éliminer de la logique des bi- valeurs
logiques. Et il utilise la dite "reductio ad absurdum" comme méthode
de démonstration qu'un jugement est contradictoire et ainsi infructueux
pour la considération dans la science. Mais Aristote constate une
exception bien connue de cette règle dans le cas des "possibilia futura",
c'est-à-dire des choses qui sont possibles. Il affirme que dans le
cas de ces possibles, une proposition contradictoire peut effectivement
être composée de deux jugements vrais.
Il est bien connu que la contradiction fut largement discutée
dans l'antiquité. On savait qu'elle se trouve à la base des
paradoxes. Les paradoxes de Zénon, le "menteur" d' Euboulides, le
paradoxe de l'honoraire de Protagoras sont fameux depuis ces temps, et l'on
cherche toujours (et en vain) à éclaircir ce qu'il y ait de
pure faux en eux et en tant d'autres paradoxes plus modernes.
Si l'on comprend les paradoxes comme problèmes, comme il est
certainement le cas dans la logique classique et dans son application, on
doit nécessairement les formuler en alternative: "La flèche
de Zénon se meut-elle ou non?", "le Crète - menteur
invétéré - en disant qu'il ment, ment-il ou non?",
Protagoras ou son disciple, qui a droit à l'honoraire, l'un ou l'autre?"
En les comprenant ainsi on doit attendre une solution qui consisterait dans
une seule réponse définitive. Mais on n'en a pas trouvé.
Par sa forme contradictoire même le paradoxe entraîne
nécessairement deux réponses, l'une positive et l'autre
négative: "La flèche de Zénon se meut et ne se meut
pas" etc. Cela montre que les paradoxes ne peuvent pas être de
problèmes dont il y a une seule solution.
On peut aussi formaliser les paradoxes en forme de concepts, p. e.
en les exprimant par deux prédicats qui s'excluent mutuellement. La
flèche de Zénon est alors "une flèche se mouvant en
repos". En tant que concepts ils ne peuvent pas être vrais ou faux,
les concepts n'ayant rien à voir avec ces valeurs logiques.
La contradiction dans un concept étant sans doute une forme
logique, on ne s'étonne pas qu'elle fut usée dans un sens
très efficace dans l'argumentation. Héraclite, les Pythagoriciens,
même Platon en ont fait usage, et il semble qu'aussi Aristote a conçu
son concept de "possibilité" (dynamis, dynamei on) en forme logique
d'une contradiction conceptuelle, notamment de ce qui existe et n'existe
pas en même temps. J'ai montré que les concepts
géométriques et arithmétiques axiomatiques d'Euclide
dans les "Eléments" étaient de ce type. Pourquoi alors les
philosophes métaphysiciens et les théologiens n'auraient-t-ils
pas usé ces concepts contradictoires pour exprimer ce qu'ils voulaient
dire, mais ce qu'ils ne pouvaient pas dire en forme logique régulière
dans des termes en forme non-contradictoire?
On trouve les exemples de cette conception contradictoire des
dogmes chrétiens chez Tertullien, qui était un Stoïcien
et juriste et devait avoir la connaissance intime de la logique stoïcienne.
Il savait certainement comme étant vrai qu' un dieu n'est pas homme,
et qu' un homme n'est pas dieu. Mais il affirmait la conception d'un Dieu-homme
- ou d'un mort-ressuscité ou d'une mère-vierge - comme conception
à croire. Ce que l'on peut et doit croire, parce qu'on ne peut pas
le savoir, fut appelé l' "absurde". Ainsi on désigne la conception
tertulienne de la foi sous la devise: "Credo quia absurdum / Je crois parce
que c'est absurde".
Les deux tendances de retenir d'une part la contradiction en termes
ou d'autre part de chercher à l'éliminer au profit des concepts
réguliers se tiennent debout dans la théologie chrétienne.
L'une, la tradition de la logique aristotélique et stoïcienne,
veut savoir et comprendre sans contradiction ce que signifient les dogmes.
Et elle s'efforce d'analyser les contradictions dogmatiques en montrant qu'elles
ne sont pas de véritables contradictions, mais seulement des
contradictions apparentes. L'autre tradition, associée aux
néoplatoniciens et au mystiques, insiste sur le caractère
contradictoire des dogmes. Les dogmes sont à croire et on les distingue
du savoir profane non-contradictoire.
La formule "Sic et non" d'Abélard ne semble pas avoir trouvé
l'intérêt des logiciens. J'ai l'impression que l'on suppose
qu'elle n'est qu'une expression un peu non-technique de l'alternative. Mais
en regardant plus près on ne trouve guère d'exemples pour une
vraie alternative logique d'arguments dans les 158 chapitres du texte du
"Sic et non". Les lieux de la bible, des pères de l'église
et des philosophes païens ramassés dans le texte varient certainement
dans leurs articulations, mais ils sont définitifs en affirmant les
concepts dogmatiques de la foi chrétienne.
Le texte offre comme introduction aux chapitres une seule phrase qui
traduit l'opinion du rédacteur - qui ne pouvait pas être
Abélard lui-même - que les exemples seraient des semblants de
contradictions mais en réalité des non-contradictions: "Incipiunt
sententiae collectae ab eodem, quae contrariae videntur. Pro qua contrarietate
hanc collectionem sententiarum ipse Sic et Non appellavit / Ici commencent
les propositions ramassées par lui qui semblent être en
contradiction. Lui-même (Abélard) a appellé cette collection
de propositions Sic et Non".
Quelles sont donc les possibilités qui s'offrent pour l'entendement
de la formule "Sic et non"?
1. La première est donc l'alternative logique qui détermine
le schématisme de la méthode des questions et sera retenue
dans la méthode scolastique. En fait on peut lire le texte en s'attendant
à une telle contraposition de citations de la bible, des saints et
des philosophes. C'est ce qu'ont certainement fait les adversaires
d'Abélard et l'église de son temps. Mais puisque la plupart
de ses citations sont prises dans la bible et chez les saints qui ne pouvaient
pas être que les témoins de la vérité même,
on devait penser qu' Abélard voulait dénoncer la fausseté
de quelques édictes de ces témoins en les sous-ordonnant sous
le "non" ou le "contra".
Si telle était l'intention d'Abélard il aurait facilement
trouvé des contre-arguments en masse chez les hérétiques
célèbres et chez les philosophes de tout poil. Mais visiblement
il n'en use pas. Et même dans le cas ou il cite un hérétique
notoire comme Arius, il laisse voir qu'il tient son édit pour vrai:
"Arius dit que le fils est différent du père et il veut que
le père le faisait différent de lui-même, parce qu'il
n'était pas en état de le produire comme semblable à
lui-même" (v. chapitre XI: "Quod divinae personae ab invicem differunt,
et contra / Que les personnes divines sont differentes l'une de l'autre,
et le contraire").
D'ailleurs, il faut remarquer que la formule d'Abélard, le
"Sic et non", ne pose pas une question en sens stricte. La méthode
des questions scolastique laisse ouvert deux possibilités en demandant:
"An sit ...aut non sit ..."? Et l'une ou l'autre doit être la réponse
vraie. Abélard en contraste avec ceci constate sous le "Sic" une
affirmation: "Quod sit ..." et sous le "Non" une autre déniant la
première: "Quod non sit ...". Avec cela il ne laisse pas le choix,
mais il invite à accepter toutes les deux propositions ou
définitions.
Donc, il ne peut pas s'agir dans le "Sic et non" (or le "Sic
et contra") d'une alternative logique qui induit comme stratégie de
recherche à l'élimination des contre-arguments au profit de
vrais arguments pour une thèse.
2. Il reste alors la seule possibilité que le "Sic et non"
désigne effectivement une contradiction. Affirmer cela en vue du texte
du canon des écritures saintes et des saints pères manifestait
sans doute une provocation pour l'église de ce temps. Et cela d'autant
plus que l'entendement usuel des contradictions chez les logiciens ou
"dialecticiens" était tel qu'il s'agirait là de pures
faussetés. Cela pouvait bien inviter les adversaires d'Abélard
à lui supposer l'opinion que la bible et les édictes des saints
contenaient des erreurs et des faussetés manifestes. En fait, cela
est devenue après Abélard l'attitude des adhérents de
la théorie de la double vérité qui affirmait: Ce qui
est logiquement vrai et vrai dans les sciences est faux dans la foi, et ce
qui est vrai dans la foi est faux dans les sciences et dans la logique. Mais
évidemment, ceci n'est pas l'intention d'Abélard.
Pour apprécier son intention, il ne faut pas se laisser tirer
sur une fausse piste. Car déjà dans son prologue il évoque
les moyens traditionnels logiques solvant les contradictions par la
démonstration qu'elles ne sont que semblants. Les juristes ont
établi ces moyens pour mettre en évidence la concordance des
édictes des jurisperiti des Digestes de Justinien et les canonistes
du droit canonique les ont repris. Martin Grabmann remarque que Bernold de
Konstanz (mort en 1100) les a largement usités. Il remarque même
les lieux parallèles et près que de coïncidences verbales
("nahezu wörtliche Anklänge", p. 239) chez les deux
auteurs.
Abélard commence son Prologus avec la sentence: "Cum in tanta
verborum multitudine nonnulla etiam sanctorum dicta non solum ab invicem
diversa, verum etiam invicem adversa videantur, non est temere de his iudicandum,
per quos mundus ipse iudicandus est / Lorsque dans une telle multitude de
mots quelques édits des saints ne semblent pas seulement être
divers les uns des autres, mais en fait en contradiction les uns avec les
autres, on ne doit pas audacieusement juger de ceux, par lesquels le monde
lui-même sera jugé" (coll. 1139). Notons le fait qu'il parle
ici seulement des "verborum sanctorum" et non des édites de la bible
elle-même. Dans ces "dictis sanctorum" on élimine la contradiction
en se rendant compte qu'il s'y peuvent trouver des corruptions du texte:
"falsa tituli inscriptione vel scripturae ipsius corruptione fallamur / nous
sommes trompés par une fausse inscription du titre ou par la corruption
du texte même" (coll. 1341). Et cela peut être aussi le cas dans
la tradition des textes bibliques: "Quid itaque mirum, si in Evangeliis quoque
nonnulla per ignorantiam scriptorum corrupta fuerint, ita et in scriptis
posteriorum Patrum, qui longe minoris sunt auctoritatis, nonnumquam eveniat
? / Est-t-il donc étonnant si aussi dans les Evangiles se trouvent
quelques choses pervertis par l'ignorance des scribes, comme il en resulte
maintes fois aussi dans les écrits des Pères postérieurs
qui sont de bien inférieure autorité ?" (coll. 1341). Les
"retractationes", c'est-à-dire les auto-corrections des pères
et surtout d'Augustine de leurs édits par des édits
postérieurs aussi jouent un rôle considérable ici. Grabmann
nous donne la liste de ces moyens d'établir une concordance
d'Abélard (I, p. 211/212). Mais il souligne qu'Abélard n'a
pas mentionné la plus importante règle, c'est-à-dire
la compréhension du texte par le contexte, la situation dans le temps,
l'intention de l'auteur et surtout les lieux parallèles.
Voilà ce qui donne a penser. Abélard pouvait-il
négliger les canons herméneutiques tellement fameux et importants,
ou est-ce que c'est Grabmann qui s'égare ici?
Nous arrivons avec ceci à la question fondamentale: Abélard
veut-il établir une concordance en éliminant les contradictions
apparentes ou non? Tous les arguments jusqu'ici mentionnés
démontrent qu'il suit la méthode des concordances traditionnelle
et qu'il la recommande au lecteur.
Mais il y a de plus. Et cela fut toujours méconnu comme il
me semble. Abélard présuppose en fait, que les concepts de
la théologie chrétienne, les dogmes, sont dans la plupart
eux-mêmes contradictoires et ne se laissent du tout manier par la
manière concordante. Pour souligner ceci, il use une formule, qui
ne se trouve que dans les lieux ou cela est manifeste. Abélard dit
dans ces cas: "Quod si difficile intelligitur, mens fide purgetur / Quand
on comprend difficilement, l'entendement doit être purgé par
la foi" (p. e. ch. 66, coll. 1434 et 1436).
En fait Abélard suit une double stratégie dans son "Sic
et non". D'une part il veut défendre le texte biblique, les édits
des saints et des quelques philosophes chrétiens avant la lettre contre
le reproche de contenir des contradictions propositionnelles. Et pour cela
il s'efforce de montrer selon les règles logiques usuelles que les
sentences et propositions ne sont que des contradictions apparentes. D'autre
part, il retient les conceptions théologiques centrales, c'est à
dire les dogmes, comme conceptions contra- dictoires - et même paradoxales.
Ces concepts dogmatiques n'ont donc rien à voir avec les critères
logiques de la vérité ou de la fausseté. On peut seulement
dire qu'ils offrent une difficulté spéciale pour la
compréhension et l'entendement logique normale puisqu'ils ne sont
pas de concepts normales. Ils sont élevés au-dessus des concept
logiques par leur nature spirituelle même. C'est la foi et non la
pensée logique qui amène à leur entendement. Et c'est
ce que Tertullien et les logiciens ont appelé "absurde" (la
contradiction). Cela est exactement ce qu'on doit et peut croire.
Le problème de la foi dans sa relation avec la raison, on le
sait bien, est à la base des controverses d'Abélard avec les
théologiens. Son opinion là-dessus lui a valu la critique de
Bernard de Clairvaux et la condamnation de la synode de Sens. Abélard,
qui voulait se profiler en philosophe, logicien et théologien en
même temps, propose que la foi et la raison doivent aller ensemble.
Migne cite quelques propos d'Abélard qui avaient été
repris par Bernard de Clairvaux dans son accusation de Sens: "La foi doit
être dirigé par la lumière naturelle: car la marque d'un
esprit léger est de croire trop facilement. Or, celui-là croit
trop facilement, qui fait marcher la foi avant la raison. De quoi sert-il,
en effet, de professer ce qu'on ne peut expliquer, et d'enseigner une doctrine
qu'on n'est pas en état de rendre sensible à ceux qui nous
écoutent?" Sur cette base se comprend facilement qu'Abélard
commence même son oeuvre "Sic et non" avec le chapitre: "Quod fides
humanis rationibus sit astruenda, et contra / Que l'on doit ajouter la foi
aux raisonements humains, et le contraire" (ibid. coll. 1349).
Abélard cite de la "Vita sancti Sylvestri": "Rationi humanae
non est committenda fides / On ne doit pas confier la foi à la raison
humaine" et aussi deux fois le prophète Isée, précurseur
d'une longe tradition de la devise "Credo ut intelligam": "Nisi credideritis,
non intelligetis / Vous ne comprendriez pas sans avoir fait foi auparavant".
Naturellement Augustine est son témoin préféré
ici, qui dit: "priusquam intelligamus, credere debemus / nous devons faire
foi avant que nous puissions comprendre", et puis Ambrosius, qui accentue
la distinction entre raison et foi en disant "Si ratione convincor, fide
abnuo / si je suis convaincu par la raison, j'ai refusé la foi". Mais
c'est la part du "Sic". Et Abélard de continuer avec les témoignages
du "Contra" chez Hilarius, Hieronymus, Paulus et Beda. Son opinion à
la fin du chapitre, il faut l'avouer, est très circonspecte. Il dit:
"Duobus modis de spe et fide nostra rationem poscentibus reddere debemus,
ut et iustas spei ac fidei nostrae causas omnibus intimemus, sive fideliter
sive infideliter quaerentibus, et ipsam fidei ac spei nostrae professionem
illibatam semper teneamus etiam inter pressuras adversantium / De deux
manières nous devons rendre compte de notre espérance et de
notre foi à ceux qui le demandent, afin que nous rendions bien clair
les causes justes de notre espérance et foi à tous ceux qui
nous questionnent en bonne ou en mauvaise volonté, et nous devons
toujours maintenir sans diminution la profession de notre espérance
et foi même sous les pressions des adversaires" (coll. 1353). Je
résume tout cela dans une seule phrase qui exprime sa structure logique
contradictoire: "Il faut croire pour comprendre, mais on croit seulement
ce qu'on comprend".
C'est ce qu'il confirme aussi dans sa célèbre confession
de foi à Héloïse, dans laquelle il dit: "Nolo sic esse
philosophus, ut recalcitrem Paulo. Non sic esse Aristoteles, ut secludat
a Christo/ Je ne veux pas être philosophe de telle manière que
je me méfie de St. Paul. Et non moins être Aristote de telle
manière que cela me sépare du Christ" (Pistole
XVII).
Le résultat de mes analyses me conduit à nier que
le "Sic et non" d'Abélard serait un membre de la chaîne dite
"méthode des questions" ou "méthode scolastique". Abélard
appartient plutôt à la grande tradition de la pensée
dialectique, dont nous avons déjà cité Tertullien, et
qui nous conduit à Nicolas de Cues et puis dans la théologie
et la philosophie dialectique des temps modernes.
Note:
-
V.: J. M. Bochenski, Formale Logik, 3. éd. Freiburg-München 1970,
p. 71.
-
Aristote, Herméneutique 9, 18a 39 - 19a 39-b4; v.: J. M. Bochenski,
ibid. p. 73.
-
Sur la construction des concepts contradictoires voir L. Geldsetzer, Logik,
Aalen (Scientia Verlag) 1987, p. 94 - 98.
-
L. Geldsetzer, Website de la Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf:
"Grundriß der pyramidalen Logik mit einer logischen Kritik der
mathematischen Logik", 2000.
-
Voir R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Vol. I, Erlangen et Leipzig
1895, p. 85 -87.
-
Voir le texte de J.-P. Migne, Petri Abaelardi Opera Omnia, in Patrologiae
Latinae t. 178, Tournholt s. a., coll. 1349/1350.
-
"Arius dicit esse dissimilem, et vult, ut Pater (Filium) dissimilem genuerit
sui, quasi impotens qui generare sibi similem non potuerit" (Migne, 178,
coll. 1367/1368).
-
"Wir bemerken mithin bereits bei Bernold von Konstanz jene äußere
Technik der scholastischen Arbeitsweise, als deren erster Vertreter bisher
Peter Abälard in seiner Schrift 'Sic et non' galt", Martin Grabmann,
Geschichte der scholastischen Methode I, Freiburg i. Br. 1909, ND. 1957,
p. 235.
-
"Abälard hat die wichtigste Interpretationsregel schwieriger
Vätertexte nicht angeführt, nämlich die Erklärung solcher
Texte aus dem Zusammenhang, aus Zweck und Zeit der Schrift, aus der Herbeiziehung
von Parallelstellen" I, p. 212.
-
J. P. Migne, éd.: Petri Abaelardi abbatis rugensis opera omnia, in:
Patrologiae Latinae T. 178, Tournholt s. a., p. 34/44.
-
J. P. Migne, ibid. coll. 375. Citation aussi reprise par L. M. de Rijk, Petrus
Abaelardus, Dialectica, Assen 1970, p. XCV en témoignage de "Abailard's
position all through his life, though it was written after the Concil of
Sens".
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